Droit de réponse à Bertrand Le Gendre, du journal Le Monde

Publié le par ofd

Monsieur,

Votre analyse sur les causes historiques de la disparition des partis politiques, notamment le Parti Radical de Gauche, mérite un droit de réponse. Vous expliquez que le Radicalisme a quasiment disparu comme le MRP ou le RPF car les raisons idéologiques de sa naissance et la réalité de son socle sociologique auraient disparu.
Vous soutenez :*
1) Les partis politiques ne prospèrent que s'ils épousent leur temps. Ils s'éteignent lorsque la vague historique qui les a portés reflue.
2) Ils n'existent qu'à condition de satisfaire les aspirations d'un électorat identifié.*
Les critères que vous avancez sont partiellement justes, mais ils ne peuvent pas s'appliquer à tous les mouvements de pensées et particulièrement au Radicalisme. C'est l'objet de mon courrier.
Sur la sociologie du Radicalisme historique, il ne me semble pas que les catégories que vous citez aient disparu de la société actuelle : ah bon, il n'y a plus de commerçants, de petits entrepreneurs, d'indépendants... ?
La France est au contraire la championne de la petite entreprise et, comme le Président de la République l'a souhaité, de "l'auto-entrepreneur" !
Sur la sociologie des partis politiques, le présupposé de votre raisonnement est que les gens adhèrent à des familles politiques en raison des intérêts catégoriels qu'elles défendent publiquement à leur place. Cette idée n'est pas réfutable mais totalement insuffisante à expliquer le vote progressiste et donc radical, alors qu'il s'applique à merveille au vote conservateur.
L'électorat conservateur, dit de droite, regarde en effet derrière lui ce qui peut assurer le maintien de ses avantages ou privilèges, méritant par la même son qualificatif. Pour la gauche, il en est tout autrement et l'histoire républicaine de ce pays l'a montré à plusieurs reprises.
L'électorat de gauche, progressiste, peut regarder derrière lui pour conserver les acquis de ses luttes sociales, mais il regarde encore plus devant lui, c'est-à-dire, comme "progressiste" veut dire, qu'il attend quelque chose de l'avenir qui n'existe pas encore. Il est même capable de sacrifier à son idéal ses intérets particuliers : le serment du "Jeu de Paume" reste l'acte politique le plus noble de la révolution française.
L'histoire des familles politiques de gauche est celle de leurs idéaux par définition jamais atteints. *Et l'histoire du Radicalisme se confond avec celle de la République qui est, elle aussi, un idéal jamais achevé. *
C'est pourquoi, quand vous comparez le Radicalisme au MRP ou RPF, vous comparez des histoires qui en se ressemblent pas. Ces deux partis sont nés pour sacraliser une séquence historique qui prenait fin ou la volonté d'un homme. Effectivement, on comprend que le RPF, tourné vers le passé récent, sans utilité avéré pour préparer l'avenir, c'est-à-dire pour accompagner les mutations profondes d'une société, ait disparu avec son chef. Le Radicalisme est une idéologie qui transcende les périodes historiques et les hommes.
C'est pourquoi il a connu des "teintures" différentes selon les époques, et qu'il a été incarné par des grands hommes parfois très différents - Clemenceau et Gambetta, Edgar Faure et Pierre Mendes France - depuis sa naissance avec Ledru-Rollin et ses partis au pouvoir sous les 3ème et 4ème République. La 5ème République l'a effectivement constitutionnellement affaibli mais, avec ses deux familles radicales, il résiste au recul de ses valeurs et incarne toujours le combat pour la République laïque et sociale.
Car la force de résistance du radicalisme est son sous-bassement idéologique qui transcende les époques. *C'est le modèle républicain qu'aucune séquence politique n'a jamais épuisé*.
C'est cette analyse qui est totalement oublié dans votre pronostic de la disparition du Parti Radical-Radical socialiste comme on disait autrefois.
Demandez à vos lecteurs si, pour eux, l'évocation de la République est devenue inutile, et la France assez républicaine ? Qui aurait l'aplomb de prétendre que la République a tellement irrigué nos institutions qu'elle s'est dissoute ou que son modèle est épuisé pour avoir pleinement tenu toutes ses promesses ? Tout au contraire, le peuple républicain souffre aujourd'hui de l'effondrement de son modèle dans les comportements publics, à tous les étages de la politique jusqu'au plus haut sommet de l'Etat, malheureusement. Tous les observateurs avertis de la politique partagent ce constat populaire qu'il est aujourd'hui nécessaire de revenir à ses valeurs et objectifs pour l'égalité des chances, la justice sociale et le bonheur des citoyens. Jamais la chose publique n'a été autant malmenée, galvaudée pour masquer le domination des intérêts particuliers et l'abaissement des
valeurs de bien commun et de solidarité au profit des communautés d'intérêt et de l'argent. Le Radicalisme est plus que jamais utile à combattre ces dérives démocratiques, toujours armé pour rappeler l'idéal républicain et son chemin politique.

C'est une "Radicale" Monsieur Le Gendre qui vous demande de rendre public ce droit de réponse, non pas par réflexe militant, mais parce que, comme j'ai essayé de vous le prouver, il y a encore des grandes causes à défendre dans notre pays, qui puisent leur racine dans notre histoire nationale et qui éclairent puissamment le chemin politique des idéalistes.

Elisabeth Boyer
Vice-Président du Parti Radical de Gauche, chargée de la prospective sociale
Conseillère régionale d'Ile-de-France

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